Par ses caractéristiques intrinsèques, le sujet de la mer permet une pluralité d’approches cognitives et une ouverture de la pensée qui trouvent des applications dans les domaines didactique et éducatif. C’est ce que souhaite montrer ce projet franco-italien, en présentant les recherches d’universitaires italiens et français et des expériences menées dans des écoles des deux pays. Ces dernières portent sur la mise en place du Socle commun en Italie et en France, en soulignant son intérêt et les nouvelles modalités d’enseignement qu’il permet; mais elles ouvrent aussi sur l’éducation à l’interculturel, question essentielle de nos sociétés et axe central de l’enquête PISA 2018.
Dans le respect du principe européen d’intercompréhension – linguistique aussi – dont s’est inspirée cette recherche, ce volume alterne le français et l’italien dans les articles et dans le paratexte.
Pour tous les lecteurs de langue française, lorsque Le Vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway paraît en 1952, il entre d’abord en résonnance avec le poème de Baudelaire, L’Homme et la mer. Ce titre, ainsi coordonné et défini dans l’absolu de sa présentation, délimite une matrice unique dans l’imaginaire des lecteurs, jeunes et moins jeunes, élèves et professeurs. Son sens ne peut se développer, dans un premier temps, qu’autour d’un seul et même support didactique, fortement explicité par le poète français : / Homme libre, toujours tu chériras la mer ! / La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme / Dans le déroulement infini de sa lame, / Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer/. Le poème s’achève sur le temps qui recompose indéfiniment le retour de la même lame, du même reflet, du même face à face des deux « lutteurs éternels », « frères implacables ».
Pourtant les textes se renouvellent dans la métaphore, qui attire l’attention subrepticement sur les mots, leur choix, leur agencement, leurs jeux dans l’espace du poème, de la nouvelle ou du roman. De l’Odyssée aux romans contemporains de la mer, en passant par les univers légendaires importés par Sindbad le marin, le face à face de l’homme et de la mer se démultiplie dans le foisonnement collectif et culturel des images, donnant à lire la géographie et l’histoire, recomposant des personnages, inventant des êtres et des esprits insoupçonnables. Santiago, le vieux pêcheur cubain qui affronte un énorme marlin au large du Gulf Stream, n’atteint son intensité émotionnelle la plus vive que dans la langue et le style personnels d’Hemingway, tout comme l’Homme de Baudelaire est porté par la puissance lyrique et la symbolique propres à leur créateur.
Ces deux textes, de par leur forme condensée et leur énoncé explicite, invitent paradoxalement à une réflexion sur les énigmes qui se dégagent de la conjonction coordonnée de l’Homme et de la Mer ; en cela, ils réalisent pour nous de véritables trames didactiques. Mais si l’Homme de Baudelaire traverse des siècles de mémoire reposant au lecteur, « mon semblable, mon frère », l’énigme de sa propre identité, celui d’Hemingway a subi l’épreuve du temps, il a vieilli. C’est un vieux pêcheur qui affronte un énorme poisson. Dans tous les cas, et quelle que soit la mémoire des textes que nous lisons, la mer conserve la même fonction de révélation et d’initiation.
Les deux œuvres et leur mémoire littéraire en filigrane offrent de quoi développer des propositions pédagogiques différentielles pour un enseignement en mouvement, au profit de l’intime et de l’histoire, ne négligeant ni la valeur des mots ni celle des formes, ce qui permet d’aborder les œuvres contemporaines issues d’autres rivages, comme celle de Mohamed Dib, par exemple, qui introduit dans le binôme « l’Homme et la Mer » une médiation féminine. Dans son roman poétique, Qui se souvient de la mer, écrit à la fin de la guerre d’Algérie, l’héroïne, N’fissa, se voit affectée de l’attribut le plus visible de la mer : le flux et le reflux. Cette œuvre repose au lecteur, à l’homme, la question de sa propre identité mais, cette fois-ci, au prisme d’un miroir féminin.
Dans la classe, comme dans le texte, la mer nous contamine par son mouvement. Elle est un excellent tremplin pour l’imaginaire du désir. Á la fois référence concrète et source d’abstraction lyrique, son pouvoir suggestif est plus attractif en classe que les autres incarnations de la totalité cosmique à la portée de l’humain. Enseignants et apprenants projettent dans l’immense configuration historique et humaine qui leur est proposée par la littérature, un chemin personnel, d’essence marine et poétique. Le déplacement qui se produit alors dans la classe ressemble à une action aimantée par la métaphore vers une mer de signes et de langages, à la fois physique et intellectuelle.
Vente de l’ouvrage sur le site: http://www.aracneeditrice.it